La loi du bélier et la légèreté des hommes
Dans la ville d’Oran vivaient quatre amis. Ils avaient tissés depuis leur tout jeune âge de solides relations amicales, leurs différences enrichissait leur amitié. Une grande affection les liait.
Nos quatre amis étaient étudiants, chacun dans sa spécialité.
Profils et mentalités de feu
Le jeune Omar, fils de commerçant et étudiant en droit, féru de sport et d’histoire de la Grèce antique, recevait fréquemment dans la boutique de son père, richement colorée par les tissus, Mehdi, Said et Houari, trois amis de son âge, autour d’un thé à la menthe, ils alimentaient et entretenaient leur complicité, leurs rêves et projets autour d’un thé à la menthe…
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Mehdi, originaire de la ville de Skikda était sage et plein de qualités morales. Aîné d’une famille de cinq enfants, étudiant en géographie, il habitait la cité universitaire et passait souvent la nuit chez sa tante. Il se rendait dans son village uniquement pour les vacances d’été.
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Said « le politique » étudiait les sciences exactes et était de tous les regroupements. Entreprenant, ambitieux et conciliant.
Houari, fils d’Oran, beaucoup d’humour, avait l’art subtil de banaliser toutes les situations. De famille modeste, studieux et plein d’humilité, il faisait une formation de tourneur au centre dans un centre formation professionnelle.
L’amitié de nos amis reposait sur des règles, mais aussi sur certaines habitudes.
Chaque samedi à midi, nos quatre amis se retrouvaient à M’dina jdida chez le gargotier Miloud « le degueu ».
«C’est tout naturellement Houari le tourneur qui lançait à haute voix la commande « Miloud, quatre « loubias », h’rissa et moutarde. Et d’ajouter « Miloud, n’oublie pas l’insecticide pour les bestioles qui trainent dans et aux alentours des plats! ».
Il y avait aussi une timide vie affective et amoureuse, vu le caractère studieux de nos amis.
Parmi les clés de leur succès auprès des filles figurait la veste de cuir vachette de Mehdi.
Cette veste d’origine allemande au look citadin était programmée pour le premier rendez- vous de chacun des amis .
Un jour Saïd, pour mettre toutes les chances de son coté pris précipitamment la veste du dos de Mehdi et se précipita à son rendez vous galant.
Le soir même dans la boutique de Omar, Saïd jeta la veste sur son propriétaire en souriant nerveusement . La fille en s’approchant de Saïd avait reconnue la belle veste de Mehdi.
Houari qui venait de lire un classique, jeta un jour de pluie avec élégance la veste de Mehdi sur une mare d’eau pour faire traverser une fille. Depuis ce jour la veste devint la propriété exclusive de son propriétaire.
Le temps du départ et la solitude
Un soir en rentrant chez sa tante, Mehdi fut accueilli devant la porte par son cousin qui l’informa de la maladie de son père.
Riche propriétaire terrien et grand éleveur, le père de Mehdi était atteint d’une maladie incurable. Depuis des générations le patrimoine se transmettait et fructifiait de père en fils, la répartition de l’héritage étant exclue.
Mehdi quitta Oran et ses amis dans la douleur et le déchirement.
Dés que Mehdi fut annoncé, El Hadj Mokhtar son père l’appela à son chevet « Mon fils, je suis navré de mettre sur tes frêles épaules le poids des responsabilités que j’ai du assumer moi-même à ton âge. Voici mes dernières recommandations, ta véritable fortune :
Prends soin comme de la prunelle de tes yeux de :
- Ta mère, pour nous, elle a omis de vivre, adouci ce qui lui reste auprès de vous.
- Tes sœurs, marie les instruites, inculque leur la capacité d’aller et venir avec aisance entre nos traditions et la modernité.
- Ton bélier, c’est un symbole et une lignée qui a traversée avec dignité les âges et les civilisations, il perpétuera ta fortune.
- Tes amitiés, n’essaies jamais de gagner avec eux ou sur leur dos.
Evite comme la peste :
- La cour des grands de ce monde , tout est faux dedans, s’achète et se vend, l’honneur et la dignité se négocie et l’amour y est absent.
- Les dettes, elles enrichissent un présent éphémère et appauvrissent un avenir durable.
- L’ignorance, les ignorants, ceux qui savent peu et ceux qui pensent savoir, ils tuent la vérité .Ce sont des boulets lourds et intéret.
Recherche avec la plus grande énergie :
- Les choses simples
- Les causes justes
- La connaissance de ce qui vient et qui s’en va et
El Hadj Mokhtar se tut un instant, avec un ultime effort, repris son souffle, prit la main du jeune Mehdi et lui dit avec la tendresse des départs pour le grand voyage « Je suis las mon fils, embrasse souvent pour moi tes enfants à venir et dis leur que tu as toujours été ma plus grande fierté. C’est à travers toi que j’ai découvert la joie et le bonheur ».
Le lendemain, Mehdi accompagna son père à sa dernière demeure, abandonna ses études et prit en charge son patrimoine, riche des conseils sages de son père.
Les contacts entre Mehdi et ses amis s’espacèrent jusqu’au silence total durant plus de deux décennies.
Nos trois amis qui n’ont jamais cessés de penser à Mehdi, sont devenus de bons pères de famille.
Omar est devenu un honnête magistrat, Houari après avoir ouvert un atelier d’usinage de pièces, lança une usine, et notre ami Said « le politique » accéda aux plus hautes sphères de la décision, députation et autres responsabilités politiques.
Un temps pour le passé et les retrouvailles
Un jour, chez Houari à l’occasion de la circoncision de son dernier fils, nos trois amis se remémorèrent le temps passé, la gentillesse et toutes les qualités de leur ami Mehdi.
Houari qui avait l’intention de faire une tournée commerciale à Skikda et de rendre une légère visite de courtoisie à Hadj Mohamed ,son plus grand client dans la région, suggéra à ses deux amis d’en profiter pour rendre visite à Mehdi et lui faire la surprise. Séduits par l’idée, ils se retrouvèrent, par une matinée d’été, à Skikda. Grâce aux relations de Si Said le député, ils savaient presque tout de leur ami Mehdi .Un notable de la ville de Skikda , ami de Si Saïd mis à leur disposition un véhicule avec chauffeur.
Saïd était attendu à l’aéroport, il déposa Houari et Omar au magasin de Hadj Mohamed, et parti rejoindre ses amis de la région.
Hadj Mohamed retint nos amis à déjeuner et déclinèrent l’invitation du soir vu l’importance du moment.
Mehdi habitait une immense ferme à quelques dizaines de kilomètres de la ville, il avait modernisé ses outils de travail et possédait le plus grand troupeau de la région.
La voiture déposa nos trois amis devant la ferme de Mehdi, il était 14 heures.
Arraché à sa sieste quotidienne, Mehdi perdit presque la voix et l’équilibre en voyant ses anciens amis. Embrassades, larmes de joie et tapes sur le dos, passées, Mehdi s’adressa à ses invités et leur dit : « Aujourd’hui est un grand jour parmi tous les jours passés et futurs, vous serez mes invités pendant le temps qui vous agrée, un mois, deux …. . Il ajouta « Le troupeau est sur les pâturages entrain de paître, dés que Brahim le berger rentrera, à tout seigneur, tout honneur c’est Si Saïd notre honorable député, homme de décision, qui nous fera le grand honneur de choisir le plus beau mouton pour le méchoui de ce soir ».
Au crépuscule, de la fenêtre du salon au premier étage, une traînée de poussière dense et interminable apparue à l’horizon. Mehdi accompagné de si Said partirent à la rencontre de Brahim le berger. Les présentations faites, Mehdi rejoignit ses deux invités et laissa son ami faire le choix du mouton pour le méchoui de la soirée.
Le bélier de la révolte
Se sentant investi de l’immense mission de marquer durablement les retrouvailles, Si Said balaya d’un regard averti le troupeau, un sourire de gagnant se dessina sur ses lèvres et pointa du doigt la plus belle bête : « Si Brahim ! Cette imposante bête aux cornes enroulées et interminables feras l’affaire de ce soir ». Brahim le berger sentit le sol se dérober sous ses pieds, livide et en bégayant il s’adressa au député « Si Said, votre choix est judicieux et sage, ce bélier que nous appelons « lefhel ou titan» pèse plus que deux de nos plus beaux moutons, en toute humilité et avec tout le respect que je vous doit, je vous propose de choisir trois bêtes et c’est moi même qui en prends la responsabilité vis-à-vis de Si Mehdi ».
Surpris par l’insolence et la désobéissance de ce minable berger, Said lui expliqua véhément qu’il n’était pas venu pour profiter de son ami en lui faisant subir une perte de trois moutons, et que de surcroît le berger doit se soumettre aux ordres de son patron sinon ce troupeau va subir les effets de l’indiscipline et disparaîtra et que c’est ce genre de comportements qui explique le prix prohibitif de la viande malgré les efforts monumentaux consentis par l’Etat, précisa Si Saïd.
Le berger serein, d’une voix respectueuse et calme s’adressa à son interlocuteur « Si Said, personne ne touchera au bélier tant que j’ai la charge de ce troupeau, c’est lui qui structure, reproduit et organise le troupeau. C’est le « titan» qui sécurise et freine sagement les errements du troupeau et c’est lui qui justifie mon existence celle de cette activité et de ses revenus ».
Si Said démonté par les propos de ce berger, tourna les talons et se dirigea contrarié vers la maison.
Voyant Said peu loquace, Mehdi appela Brahim le berger et le questionna sur le choix de Si Said pour le méchoui de ce soir.
Brahim le berger informa Mehdi sur sa proposition de tuer trois moutons à la place du bélier.
Mehdi fut pétrifié, un silence religieux envahi les lieux, dans sa tête galopait à la vitesse de la lumière les dernières recommandations de son défunt père « prends soin de ton bélier comme de la prunelle de tes yeux et perds toujours avec les gens que tu aimes ». Un immense dilemme!
D’un ton ferme et solennel Mehdi s’adressa devant ses trois amis au berger et lui dit « tue le bélier. Si Said, en homme loyal, est tenu viscéralement de perpétuer nos traditions de sacrifier les meilleurs, lefhoula, les géants…. ».
Brahim le berger blêmit, baissa la tête, jeta un immense regard de détresse à Omar le magistrat et s’empressât de rejoindre son troupeau pour exécuter l’ordre de son patron.
A peine notre berger fit-il quelques pas qu’il fut interpellé par Omar « Si Brahim, j’aimerai, avec l’autorisation de Si Mehdi, accéder à l’honneur et au plaisir d’égorger moi-même cette bête »
Mehdi acquiesça et demanda au berger d’aller se reposer en attendant que Omar soit prêt pour le sacrifice.
Houari allait tomber à la renverse et se pinça presque pour reprendre ses esprits « Omar mon ami, toi qui contourne le chemin des fourmis, qui dit pardon à tout ce que tu frôles, même les murs, d’où te viens cet élan subit pour le couteau et le sang ? »
Omar senti comme un tourbillon racler tout son corps, perdit son sang froid, fixa droit dans les yeux Saïd le député : « toi qui sais et qui es dans le secret des dieux »
Dis moi si la séparation de demain vaut la peine d’être fêtée avec faste, en mettant sur la table un symbole millénaire ?
Dis moi pourquoi ?
les hommes sont –ils capables de changer le climat et incapables d’être heureux autour de choses simples ? rappelle toi le jour ou Houari a eut son CAP de tourneur , autour d’un simple couscous au petit lait , nous étions quatre rois.
Les meilleurs d’entre nous reçoivent à tous les coups les balles qui leur sont destinées et aussi toutes celles qui se perdent ?
Les mères sont orphelines des jolies têtes de leurs enfants sur leurs genoux ?
Nos enfants ne se passent plus leurs habits ?
Y a-t-il plus de bijoutiers que de fleuristes chez nous ?
De l’eau douce coule dans certains robinets et de l’eau saumâtre dans d’autres ?
Les promesses, les discours ne présentent pas de preuves, tout comme l’amour…des mots ?
Le sang est devenu la sève nourricière de nos journaux ?
Nos enseignants, nos cadres, mettent leurs affaires dans des sachets de plastique ?
On peut reproduire impunément la Joconde, falsifier l’histoire, décimer des coutumes et des cultures et faire de la prison pour avoir donner un avis, contrefait une paire de sandales ou un stylo ?
La vérité se chuchote et le mensonge se crie ?
Pourquoi, mon ami Saïd ?
Nous n’avons même pas de vrais mendiants, de bons voleurs, de nobles riches ?
Nos femmes sont scotchées devant les films Egyptiens à boire les mots d’amour en révant de les entendre un jour ?
Dans nos campagnes, les plaies sont cicatrisées à la terre muoillée et au marc de café ?
Je parle de chez nous et en homme de loi, j’ai passé trente années au milieu du grand giratoire de la justice et j’ai vu, ceux et c’est la majorité qui passeront leur vie à tourner autour, ceux qui le traverse sans entraves, ceux qui le prennent en sens inverse et la minorité qui ne l’emprunte jamais, sans omettre ceux qui meurent dedans.
Si Saïd, ce splendide bélier est programmé pour un destin autrement plus noble que tes rots inélégants.
Cela fait plus de trente ans que le bout de ma langue flambe à vouloir dire à mon meilleur ami que le sens est ailleurs, que nous avons perdu notre poésie, que notre ego n’a pas sa place sur la table de l’amitié»
Houari sentant de la tension dans l’air s’adressa à Mehdi, « Ou donc notre ami Omar cachait-il tout cela pendant autant années »
Si Saïd traînant les pieds s’avança vers Omar, le prit par les épaules « j’ai toujours rêvé avoir ta lucidité et ta vision de l’essentiel, je suis piégé entre le besoin de vérité et l’habitude du mensonge, j’ai appris à aimer le pays à la veille de certaines échéances et à m’aimer et à me faire aimer le reste du temps, mon ami Omar, moi et des milliers d’autres ont étés construits par et pour le leurre… » .À ce moment là un immense klaxon déchira la nuit, le gardien de la ferme chuchota quelques mots dans l’oreille de Mehdi qui lui répondit par un geste de consentement. Une Mazda bâchée stationna devant nos amis.
El Hadj Mohamed le client de Houari descendit de la voiture et demanda au chauffeur de déposer les deux méchouis pour fêter les retrouvailles de nos amis Oranais.
Nous apprîmes quelques années plus tard que lorsque Mehdi avait ordonné le sacrifice du bélier, Houari sortit son portable et s’absenta un instant……